Hommage à mon ami et jeune frère,

Docteur Elie DRO
Nous avons tous été prévenus par les Devins que la foudre allait s’abattre sur le monde ; nous n’avons pas cru. Les sages, les érudits, nous ont parlé nuitamment ; nous n’avons pas suivi. Des signes, des symboles sont apparus ; ils n’ont pas suffi à nous convaincre ; nous avons été sourds et aveugles à leurs langages. La météo, nous a indiqué un temps sale, plein d’incertitudes à l’image des farces de fin du monde présentées à la télévision ; nous n’avons pas aussi prêté attention. Les journaux ont pris le relais ; pas question d’y croire. La nature, elle-même s’est manifestée par une légère colère à travers la disparition soudaine des étoiles et des eaux ; nous laissant sous une chaleur indescriptible ; tout cela, ne nous a pas émus. Nous sommes restés sur nos chevaux. En aucun moment l’inquiétude ne s’est emparée de nous. Nous étions sereins et surs que rien, de rien ne se passerait. Nous avons même à cet effet, montrer notre bravoure en remuant ciel et terre à travers des cantations ancestrales et des prières divines pour conjurer le sort à venir et implorer la clémence, le pardon des Dieux, des anciens. Aucune oreille attentive à notre écoute et l’irréparable, l’inattendu, l’insolite, survint en plein jour, le soleil au zénith, la nuit tomba, une nuit si obscure, ténébreuse, hideuse, jamais vécu par les humains. Quel sinistre s’écrièrent les hommes ?
Le moment est fatidique. C’était la plus grande tristesse d’une stupeur incommensurable. C’était lugubre, pas d’échappatoire, nous devrions tous transiter. Quelle frayeur ? Quel destin ? Alors, très rapidement l’homme envoya une délégation voir Dieu. Mais trop tard, nous semble-t-il ? Ce fut la désolation, la consternation, l’abandon… Alors blottis dans sa retraite, sa cachette, chacun se mit à prier, à prier, à prier… en attendant son heure.
En effet, la cruelle disparition du jeune frère s’apparente à cette histoire. Elie DRO’S, comme je l’appelais affectueusement, est allé trop tôt, jeune intelligent, foncièrement humaniste, que j’ai connu pour la première fois en France, lors de mes études doctorales. Que n’a-t-il pas fait pour rendre mon existence agréable, lui et son adorable épouse ? Une femme extraordinaire, qu’il n’a d’ailleurs jamais osé appeler par son nom. C’était ma famille. Ce monsieur n’avait qu’une seule famille, son épouse. Pour s’adresser à elle il disait toujours ma famille au point que j’ai commencé à comprendre une autre dimension du terme famille. C’était le couple parfait, idéal, admiré de tous. Il a vraiment aimé son épouse et il me l’a maintes fois signifié. Et donc, je sais que partir, l’abandonner sur cette terre des Hommes n’a pas été chose aisée pour lui. La séparation a sans nul doute été très douloureuse pour les deux. Quel désastre ? Qu’est-il arrivé ? Le démon a visité la demeure emportant au final le chef de la famille. Pourquoi doit-on mourir si tôt, lorsqu’on est si bon ? La bonté doit-elle être éphémère ? Pourquoi les bons meurent-ils si vite ? Pourquoi l’espérance de vie des bons, des gentils hommes est-elle aussi limitée ? Les exemples sont légions ? En réalité, mon ami ne croyait en rien, c’était le “petit blanc”, il avait confiance à tous. N’est-ce pas là aussi son péché mignon, dans une Afrique hostile aux changements ?
Elie DRO’S est un grand homme. Il n’a pas vécu inutilement. Ses actes posés ici et là resteront à jamais gravés dans nos mémoires. C’est un homme généreux, affable, ouvert, simple au point de s’ignorer parfois. Quelle humilité ? Pendant mon séjour, Elie m’a permis de prendre contact avec toute la diaspora ivoirienne. Il était connu, serviable et au service des autres. Ainsi, avec lui j’ai aussi beaucoup appris dans nos discussions dans son salon de Nanterre tant au plan universitaire qu’à celui de la vie profane française. Il a été mon guide, mon conseiller, mon “sapeur-pompier” au plan logistique, matériel et surtout financier. Il m’a soutenu, accompagné ; il m’a tout donné. Il reste et demeure à jamais une référence pour moi. C’est une âme généreuse qui s’en est allé.
Que la terre lui soit très légère.

Docteur TOURE Kignigouoni, le compagnon d’un jour…